Le titre de ce court essai d’Étienne Rodin a la tonalité d’un réquisitoire. L’auteur, fort de son expérience de consultant, dissèque avec précision les modes managériales qui font florès dans les grands groupes, qu’ils soient privés ou publics : programmation neuro-linguistique, théorie de l’intelligence émotionnelle, technique d’évaluation « 360° », management participatif… Toutes ces pratiques managériales érigées en discipline scientifique par la caste des consultant·e·s et expert·e·s en organisation constitueraient le moyen le plus efficace de gérer collectifs de travail et projets pour atteindre la sacro-sainte efficience. Comprendre : comment faire toujours plus avec toujours moins.
Outre les effets délétères de cette mobilisation générale et permanente sur les principaux concernés – les salarié·e·s –, l’auteur identifie avec clairvoyance le phénomène de bureaucratisation en cours dans les grandes entreprises. L’écart se resserre entre ces dernières – de plus en plus bureaucratisées – et les administrations – de plus en plus managées. Le libéral-productivisme rejoindrait-il, par des voies détournées, le modèle honni du communisme soviétique ?
L’état des lieux général ne peut qu’être partagé. En revanche, cherchant à expliquer les causes des changements en cours dans les organisations, l’auteur finit par fétichiser ce qui ne relève pourtant que d’un concept mou. Prolongeant la thèse iconoclaste développée par Matthew Stewart dans la très libérale revue Commentaire (1), il nous apparaît en effet que le management répond à cette seule définition : activité consistant à faire en sorte que ce qui doit être fait se fasse. Ainsi démystifié, le management apparaît soumis non seulement aux exigences de la concurrence économique, mais aussi à des normes sociales ou religieuses, variables selon l’époque et le lieu, qui l’entravent ou le contraignent. Dès lors, à l’heure de la guerre économique totale, l’emballement gestionnaire ne peut-il pas être considéré comme inhérent au développement continu du système technicien ?
Définie par Jacques Ellul comme la recherche du meilleur moyen dans tous les domaines, la Technique intègre en effet le management comme l’un de ses nombreux avatars. Et plus encore que dans les théories managériales dénoncées par l’auteur, elle s’incarne dans les normes internationales et les outils d’analyse comptable et budgétaire si bien étudiés par Anne et Eric Pezet (2) : normes comptables et qualités internationales – versant soft law managériale ; dispositifs techniques de gestion – Balanced ScoreCard, Activity based costing (ABC) et autres ABM et ABB… Ces nanotechnologies de l’économique et du social, colonisant l’ensemble des secteurs privé, public et associatif, forment aujourd’hui système et ont de ce fait des effets macro économiques considérables, qu’il s’agisse de décisions d’investissement ou de « plans de sauvegarde de l’emploi ».
Nonobstant ce voile jeté sur la réalité bien concrète de ces méthodes de management, les solutions esquissées par Étienne Rodin pour desserrer l’étau du système technicien ne peuvent que susciter l’adhésion : transition vers une économie de la sobriété dans une perspective assumée de décroissance, développement de structures coopératives de production à taille humaine. Planétaires de tous les pays, unissez-vous !
(1) Commentaire , n°118, été 2007.
(2) La Société managériale. Essai sur les nanotechnologies de l’économique et du social , La ville brûle, 2010.
