Écologie politique

, par Marie-Pierre Najman

Écologie politique. Cosmos, communautés, milieux
Émilie Hache (dir.)
Éditions Amsterdam, 2012
406 pages, 20 €

Après avoir publié en 2011 Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique , la philosophe Émilie Hache a dirigé en 2012 ce recueil d’articles internationaux qui permet de mieux comprendre l’importance de l’attitude pragmatique en écologie. Émilie Hache introduit chaque chapitre par un examen des enjeux qu’il évoque.

Le premier comprend, entre autres, la déclaration de Cochabamba et « L’environnementaliste des riches », où Ramachandra Guha et Juan Martinez Alier promeuvent une « écologie des pauvres ». Comme la vision pragmatique est pluraliste, les relations sociales y sont cruciales pour la connaissance comme pour la prise de décision. Nous avons partout affaire à des « conflits de mondes » !

« Reclaiming democracy » motive donc le chapitre suivant, avec trois textes dont « Écologie sociale vs. écologie profonde » de Murray Bookchin (1987), qui ravive un débat toujours d’actualité, et surtout « La nature comme communauté » de Giovanna Di Chiro, qui évoque les organisations de justice environnementale états-uniennes, souvent « communautaires ». L’attitude pragmatique voit dans le cosmos un mouvement, un « ça passe » permanent, avec des temporalités diverses. Dès lors, une communauté se définit non comme un rassemblement identitaire anthropocentré mais comme un ensemble mixte et ouvert d’humain·e·s et de non-humain·e·s lié·e·s dans un rapport co-constitutif permanent. Les organisations examinées par Di Chiro montrent comment une idée de nature différente de celle du discours traditionnel de préservation est conçue au fil des luttes qui affirment une « communauté », que ce soit pour la pêche artisanale ou l’accès à une eau non polluée.

Toutes les philosophies se réclamant du pragmatisme remettent en question des dualismes comme nature/culture ou moyens/fins. Elles conçoivent ces concepts comme indissolublement liés et en explorent les liens, sans aucun principe surplombant : au présent, il n’existe ni détermination absolue ni essence prédéfinie. Tout est influence mutuelle, tout est degré, et rien n’est a priori hors de portée de nos enquêtes qui, bien que toujours partiales et partielles, nous permettent d’apprendre et de mieux nous lier au monde. Ainsi, de « nouvelles cohabitations » sont à inventer et quelques-unes font l’objet du troisième chapitre, avec, par exemple, un art de questionner les moutons qui les révèle beaucoup moins moutonniers qu’on le dit, par Vinciane Despret, ou un examen critique de l’hypothèse Gaïa par Lynn Margulis : dans quelle mesure peut-on assimiler la Terre à un super-organisme ?

En ce temps des catastrophes, la peur et le ressentiment nourrissent notre appétence pour les certitudes et les clôtures, alors que nous aurions ensemble à inventer des issues. Qu’est-ce qu’« habiter un monde au bord du gouffre » ? se demande le dernier chapitre. Le concept de « milieu », comme alliance écologique entre collectivités humaines et non-humaines, avec des dimensions psychiques, sociales et environnementales, s’avère éclairant. William Denevan montre combien la wilderness attribuée par les colons aux paysages états-uniens nie les soins séculaires qu’y apportaient les autochtones. Mike Davis témoigne des luttes, en particulier au Sud, pour un « droit à la ville » : comment faire des villes « une partie de la solution à – et non du problème posé par – la crise écologique ? » Jennifer Wolch imagine une « Zoöpolis », une ville qui fasse toute sa place aux animaux...

Ce recueil présente un panorama général de l’attitude pragmatique en écologie qui, par définition, nous encourage à envisager les problèmes avec moins de préjugés et en investissant résolument dans la créativité collective. Et pour être encore plus opératoire, cette attitude nous met finalement au défi de partager entre nous des témoignages encore plus précis, encore mieux situés, sur nos expériences collectives d’égalité politique afin d’aller vers plus de vigilance écologique, plus de soin à nos milieux de vie...