Dans la lumière

, par Colline Hilmoine

Dans la lumière
Barbara Kingsolver
Traduit de l’anglais par Martine Aubert
Payot, 2013
560 pages, 24,50 €

Vous avez peut-être découvert Barbara Kingsolver avec Un jardin dans les Appalaches , dans lequel elle raconte comment elle s’est installée dans une ferme de cette région montagneuse des États-Unis avec sa famille pour devenir « locavore », c’est à dire se nourrir uniquement d’aliments produits localement. Avant de rencontrer le succès comme romancière, Barbara Kingsolver a fait des études de biologie. Elle est également connue pour son engagement écologiste. C’est cette thématique environnementale qui est au cœur de son dernier livre, Dans la lumière , ( Flight Behavior en anglais).

Dellarobia est un petit bout de femme aux cheveux rouges, qui s’est mariée et a eu des enfants trop tôt. Elle vit dans une ferme des Appalaches qui appartient à ses beaux-parents, éleveurs de moutons. Cub, son mari, est un gentil garçon pour qui elle a beaucoup d’affection mais avec qui elle s’ennuie. Même si elle aime énormément ses enfants, sa vie de mère au foyer ne lui suffit pas, elle a besoin d’un autre horizon. Sur le point de tout quitter pour rejoindre son amant, seule et piètre échappatoire, elle découvre sur son chemin de quoi lui faire faire demi-tour. Dellarobia est subjuguée par une forêt rougeoyante, un spectacle d’une beauté à couper le souffle. Ce lac de feu qui s’offre à ses yeux se révèle être une nuée de papillons orange, des monarques accrochés aux arbres. Loin de la ramener à son train-train quotidien, cette vision va changer le cours de sa vie.

La forêt où ces papillons ont élu domicile devient l’attraction locale, attirant badauds, journalistes et scientifiques. Alors que la communauté religieuse essaye de faire croire à un message divin, les scientifiques venu·e·s sur place expliquent que la venue des papillons est liée au changement climatique. Ces monarques, suite à la destruction de leur lieu habituel d’hibernation au Mexique (1), ont changé leur trajet migratoire pour adopter une forêt des Appalaches où l’hiver plus rude pourrait leur être fatal.

Parmi ces scientifiques, Ovid, qui ouvre les yeux de Dellarobia sur les problèmes environnementaux. Il lui donne aussi l’occasion de s’épanouir hors de son cadre familial en lui proposant de travailler pour son équipe, et ce sans jamais profiter de son ascendant sur elle. Le monde et l’avenir prennent alors une nouvelle dimension pour Dellarobia.

S’il s’agit évidemment d’un livre engagé qui met à jour les effets du changement climatique, il n’est ni moralisateur, ni culpabilisateur. Kingsolver fait preuve de beaucoup d’empathie envers ses personnages, notamment envers ceux et celles qu’elle appelle les rednecks et qui ont d’autres soucis que l’écologie. C’est dans la confrontation entre ce monde rural et les mondes scientifique et écologiste que le roman est particulièrement intéressant. Dans une scène éclairante, Dellarobia lit un tract rédigé par des militant·e·s avec des conseils pour réduire son empreinte environnementale. Quelle absurdité pour elle qui n’a pas les moyens de prendre l’avion ou de manger de la viande à chaque repas ! En révélant l’indécence d’un certain discours écologiste, le roman invite d’abord à réarticuler questions sociales et écologiques. Ainsi le père de Cub a-t-il l’intention de déboiser l’endroit où les papillons ont élu domicile pour des raisons financières. Pourtant, comme le comprend Dellarobia, ce serait se tirer une balle dans le pied... les fermiers ne sont-ils pas les premières victimes des glissements de terrain et du réchauffement climatique

Dans la lumière est donc un roman qui pose des questions cruciales à travers une fiction passionnante, qui montre le chemin vers l’indépendance d’une femme. L’épaisseur des personnages auxquels on s’attache vite participe grandement au plaisir de la lecture et contribue à la réussite du pari majeur de ce roman : transmettre avec justesse et pédagogie le message écologiste.

(1) Un documentaire de Nick de Pensier, La Grande Migration des papillons monarques (2008), diffusé sur Arte à l’automne 2013, décrit le phénomène et rend compte du déboisement des forêts de grands pins mexicaines qui abritaient les monarques.