Enlarge your capitale

, par Philémon

Les Parisien⋅ne⋅s sont vraiment à la pointe ! Avec le Grand Paris et ses 200 km de métro, ils prennent la tête du concours des grands projets inutiles. Un métro ferait moins de dégâts qu’un aéroport sur une zone humide ? Ce n’est pas si sûr...

Tout d’abord, quelques chiffres pour poser le problème.

L’Île-de-France, c’est 19 % de la population métropolitaine (bien tassée), mais 30 % du PIB, avec un quart des entreprises de métropole. Le revenu disponible moyen y est nettement supérieur que dans le reste de la France. La région Île-de-France rassemble aujourd’hui 27 % des effectifs nationaux de l’enseignement supérieur et 40 % des chercheurs/ses, mais compte seulement 12,7 % d’ouvrier·e·s, contre 23,2 % dans le reste de la France (1).

La « région capitale », c’est aussi 4 milliards de voyages en transports en commun par an. Et ce n’est que le début, puisque le métro automatique du Grand Paris sera constitué de 205 km de nouvelles lignes de métro automatique, sachant qu’actuellement, le métro parisien fait 217 km. Le tout, officiellement, en à peine plus de quinze ans ! Ces nouvelles lignes doivent à terme assurer 2 millions de voyages par jour.

Le coût annoncé pour le nouveau métro parisien est de 26,6 milliards d’euros (29,9 avant « optimisation » du projet). Selon la Cour des comptes, les 25 projets [de transport] du contrat État-Région 2000-2006 en Île-de-France « ont coûté, en moyenne, 92 % plus cher que ce qui était annoncé » ; on vous laisse faire le calcul.

Notons parallèlement que les appels à projet lancés par le gouvernement pour financer les transports en commun en site propre sont toujours inférieurs à 500 millions d’euros... pour tout le reste de la France.

Finalement, pas grand chose de nouveau : comme depuis Louis XIV, l’ensemble de la France continuera de payer pour la capitale, mais maintenant c’est assumé, et justifié par la rhétorique libre-échangiste. Après tout, l’Île-de-France n’est une région de droit commun que depuis 1995 et il a fallu attendre les années 1970 pour que l’État accepte que Paris élise son maire...

La logique du Grand Paris

La politique d’aménagement du territoire portée par l’État depuis les années 60 visait à luter contre le « désert français » (d’après le livre de Gravier) et favoriser un développement harmonieux du territoire, avec, entre autres, des taxes sur les bureaux à Paris et des « métropoles d’équilibre » pour en contrebalancer le poids.

Si la DATAR (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) n’a pas réussi à inverser la tendance, la loi du Grand Paris remet radicalement en cause les fondements de la vision étatique du territoire : l’important est que la France ait sa capitale d’une taille « mondiale », sa « globale city » pour « rester compétitive au niveau international », tant en termes de population que de services, de richesses... et le reste de la France suivra.

Ainsi, on peut suivre la course sans fin entre Londres et Paris, qui dure depuis le Second Empire : qui a le plus d’habitant·e·s ? Qui a les transports les plus rapides ? Qui accueille le plus de congrès ? Qui a le plus de chercheurs/ses ? Le plus de sièges sociaux ? Le plus de touristes ? Aux dernières nouvelles, Paris serait en tête (2)...

Le Grand Paris n’est pas seulement un projet géant de métro ; c’est d’abord un projet de développement économique, avec les fameux clusters (grappes en français) : il s’agit de créer des pôles (« d’envergure internationale » bien sûr) rassemblant universités et entreprises pour animer des dynamiques et des synergies, qui vont enfin relancer la croissance : la Défense bien sûr, mais aussi le « cancéropole » (comme quoi la pollution peut créer des emplois !), Saclay et le nucléaire... C’est aussi un programme immobilier gigantesque, chaque « contrat de développement territorial » signé par l’État et les collectivités locales autour des futures gares du Grand Paris étant des engagements à créer des dizaines de milliers de mètres carrés de bureaux et d’activités, en plus de l’énorme effort de création de logements. Les grands groupes du BTP, eux, sont sûr de sortir gagnants des projets du Grand Paris !

Alors que de 2000 à 2009 on a construit en moyenne 37 000 logements par an en Île-de-France, la loi du Grand Paris prévoit une production annuelle de 70 000 logements. Le Conseil régional vise une augmentation de la population de 1 à 2 millions d’ici à 2030.

La densité de la ville promue par ce projet, c’est plutôt bien pour l’efficacité énergétique, par rapport aux villes pavillonnaires de grande banlieue. Cela rendra la petite couronne plus dense... mais sans empêcher le développement de la grande couronne, et surtout sans agir sur la « mobilité contrainte » (celle que je suis obligé de faire pour aller travailler). Comme l’expliquait Ivan Illich, il y a une limite à la concentration urbaine à partir de laquelle, au lieu de faciliter les échanges et les déplacements, elle crée plus de nuisances et fait perdre du temps à ses habitant·e·s (les Parisien·ne·s sont les Français·es qui passent le plus de temps à se déplacer). Les transports franciliens sont déjà saturés (1 million de voyages par jour sur le seul RER A) ; la somme des projets de desserte du quartier de la Défense n’améliorera qu’à la marge la situation, puisque de nouvelles tours continuent à sortir en parallèle. Le boulevard périphérique a été saturé dès le jour de son inauguration. Dans une agglomération en croissance continue, l’augmentation de l’offre de transports est une course sans fin.

L’illusion du rééquilibrage de la métropole à l’Est

Au départ, il ne faut pas oublier que la loi du Grand Paris était un outil pour permettre à l’État sarkoziste de remettre la main sur la région capitale tenue par le PS. Mais l’enthousiasme de l’immense majorité des élus franciliens de tous bords a fait de cette loi et de son projet de métro (3) un élément structurant des politiques publiques de la Petite Couronne.

L’Île-de-France est caractérisé historiquement par une concentration des emplois et des richesses à l’ouest de Paris avec les beaux quartiers, puis à l’ouest de l’agglomération centrale avec les Hauts-de-Seine et la Défense.

A l’est, dans le Val-de-Marne, ce projet est vendu comme le projet tant attendu qui va enfin inverser la tendance et favoriser la création d’emplois sur place plutôt qu’à l’ouest et à Paris. Mais n’aura-t-il pas l’effet inverse ? Alors que l’État oblige les collectivités qui seront desservies par le nouveau métro à augmenter très fortement leur production de logements, le métro permettra d’abord à ces nouveaux habitant·e·s d’aller plus rapidement dans les pôles d’emplois existants.

La desserte par ce métro de villes aujourd’hui habitées par des classes populaires permettra-elle à ces dernières d’avoir une meilleure qualité de vie, ou entraînera-t-elle un mouvement de déconcentration des classes aisées et une relégation vers des quartiers toujours plus périphériques des classes populaires ? Le mouvement de « gentrification » constaté à Paris (4) n’a aucune raison de s’arrêter au périph’ à partir du moment où les transports sont suffisamment rapides pour ramener les classes laborieuses le matin et les faire repartir le soir. Depuis trente ans, le temps de trajet des Francilien·ne·s augmente beaucoup plus lentement que la distance parcourue.

La région rassemble déjà 37 % des cadres français, et une bonne partie des « fonctions intellectuelles supérieures » (qui comprend aussi un certaine nombre d’intellos précaires), et le mouvement doit s’amplifier. Car le projet de métropole mondiale est celui d’une agglomération d’abord composée de cadres, de dirigeant·e·s, de « créatifs », de chercheurs/ses... Les populations « servantes » de ce développement (pour les nourrir, les habiller ou les transporter) étant alors réparties à l’échelle de la France, ou du moins de l’ensemble du Bassin parisien... grâce à des transports toujours plus rapides.

N’ayant pas peur de la contradiction, le Schéma régional climat air énergie d’Île-de-France, élaboré conjointement par l’État et le Conseil régional, écrit que pour atteindre l’objectif officiel de division par quatre des émissions de CO2 à l’horizon 2050, il faudra engager « la mutation profonde de la mobilité à l’échelle francilienne, avec une réduction des besoins de mobilité contrainte, une réduction de la portée moyenne des déplacements [...] ».

« Entre des hommes libres, les rapports sociaux productifs vont à l’allure d’une bicyclette, et pas plus vite » (Ivan Illich)

Comme tous les grands projets d’infrastructures, l’objectif est toujours de déplacer plus de monde, plus vite et plus loin... en affirmant que cela favorise la vie locale. Mais faire 50 km entre son domicile et son travail, c’est d’abord passer la majeure partie de sa semaine hors de la ville ou du quartier que l’on habite, bien souvent faire ses achats dans un troisième lieu (l’hyper’), coupant ainsi les réseaux de solidarité. Des transports performants (autoroute ou RER) sont la condition de la division fonctionnaliste de la ville, avec ses « zones » monofonctionnelles. Et créer des zones « mixtes » n’est pas suffisant pour recréer de la vie locale si la répartition spatiale des habitant·e·s de l’agglomération reste fondé sur le prix de l’immobilier.

Ainsi, un métro n’est pas plus « écolo » qu’une autoroute. Le problème n’est pas le mode de transport mais la distance parcourue tous les jours. La distance a un coût : écologique par la consommation d’énergie, sociale par l’organisation de la société qu’elle produit, et économique par la part que prennent les transports dans l’activité économique et le budget des ménages. La mesure principale portée par Europe Écologie Les Verts en Île de France, qui est de supprimer les zones tarifaires des transports en commun (abonnement au même prix que l’on fasse 10 ou 100 km par jour), permettrait d’aider les Francilien·ne·s qui passent le plus de temps dans les transports (venant de Grande Couronne), mais est à l’opposé d’une amélioration de la résilience du territoire qui passe d’abord par une diminution des distances de la vie économique.

« Mais laissez-moi partir ! »

Dans une carrière professionnelle, le passage par Paris est plus un « mal nécessaire » qu’une envie d’habiter dans la région capitale. Ainsi, alors que les pouvoirs publics font tout leur possible pour attirer de nouveaux emplois dans la région capitale, les Français·es, eux, préféreraient aller travailler ailleurs :

54 % des Franciliens souhaitent quitter l’Île-de-France à court ou moyen terme ;

77 % de ceux et celles qui souhaitent partir veulent vivre à la campagne ou dans une ville de moins de 100 000 habitants ; d’abord pour trouver un cadre de vie plus agréable (68 %).

Après le prix de l’immobilier (56 %), les raisons de partir sont le stress de la vie quotidienne (41 %) et le temps passé dans les transports (40 %) (5).

Ainsi, si le Grand Paris est au top pour vendre la capitale aux grandes firmes internationales, il semblerait qu’une composante ait été oubliée : ses habitant·e·s, actuel·le·s et futur·e·s. Alors, à quand la grande migration des Francilien·ne·s et à quand le Petit Paris ?

(1) Source CRCI Île-de-France.

(2) « Les villes européennes : analyse comparative », Céline Rozenblat, Patricia Cicille, UMR ESPACE CNRS 6012 et Université Montpellier III.

(3) Qui a fini par reprendre une bonne partie du projet concurrent porté par le Conseil régional « Arc Express ».

(4) Paris sans le peuple. La Gentrification de la capitale , Anne Clerval, La Découverte, 2013.

(5) Sondage CSA pour Proveploi, le salon pour vivre et travailler en province : « Ces Franciliens qui rêvent de quitter Paris », octobre 2012.m